[FR] [ENG] EP#04 - Les arts de la recup'
Dans un contexte d’urbanisation croissante, la gestion des déchets est un défi de taille pour le Maroc, où l’on produit 18 000 tonnes de déchets par jour et où la majorité des déchets est encore entreposée dans des décharges non contrôlées, source d’impacts sanitaires et environnementaux majeurs (le méthane s’en échappant ayant un pouvoir de réchauffement climatique 25 fois supérieur au C02). Ceci tend à changer au regard du Plan National des Déchets Ménagers (PNDM) visant, entre autres, la fermeture des décharges sauvages et l'ouverture de centres de valorisation de déchets. Pourtant, faute de politique publique de tri à la source, les déchets arrivent, dans ces centres, mélangés et souillés rendant leur recyclage difficile (au Centre d'Elimination et de Valorisation de Meknes, seuls 6% des déchets parviennent à être recyclés).
Incinération dans une décharge sauvage aux abords des cascades d'Ouzoud (©The Gold Diggers Project, 2017)
S'appuyer sur l'existant
On recense plus de 7000 récupérateurs informels au Maroc, dont la majorité travaillerait en ville. Leur travail vient en complément de celui réalisé dans les décharges sauvages ou dans les centres de traitement (le PNDM poussant les industriels à intégrer des chiffonniers dans leurs centres) et ils seraient responsables d'un étonnant taux de recyclage de 10% au niveau national (malgré les moyens publiques déployés, à Paris seuls 20% des déchets sont recyclés).
Un récupérateur informel (©L-L Gaschy, Maroc)
Pour améliorer le tri à la source, une solution serait donc de s'appuyer sur ce qui fonctionne déjà, à savoir sur ces milliers de chiffonniers qui récupèrent déjà efficacement des matières recyclables.
Les habitants peuvent par exemple entrer en contact avec le chiffonnier qui passe dans leur quartier et leur confier leurs déchets recyclables.
> voir l'initiative de l'association Bahri dans la vidéo.
Ressourc'In une entreprise à fort impact social
A Casablanca, l'entreprise Ressourc'In est à l'origine de la marque Koun et perpétue une tradition marocaine de l'upcycling : faire du neuf avec du vieux.
Elle collecte et recycle des déchets ménagers et de bureau – tels que plastiques, papiers, cassettes, textiles – et propose à la vente les produits ainsi valorisés. Les activités réalisées englobent le tissage des plastiques, le recyclage de papier et la création d’objets de design, chapeautés par les designers Siham El Yaagoubi et Mohamed Alabridi.
Ce dernier participe d'ailleurs à la communauté Precious Plastic, pour le développement d'une forme de recyclage du plastique au niveau individuel, à portée de tous et à l'échelle mondiale (de part la diffusion en open-source de plans de machines de recyclage), permettant une lutte contre la pollution plastique avec une approche bottom-up.
Objets déco de la marque Koun fabriqués à partir de plastique recyclé (©The Gold Diggers Project, Casablanca, 2017)
Les artisans de Ressourc'In sont des jeunes déscolarisés sans qualification ou des femmes socialement défavorisées qui sont accompagnés pour réussir leur insertion professionnelle. L'empowerment est un maitre mot dans cette entreprise où chaque artisan est auto-entrepreneur et encouragé à participer à la création des designs.
Ressour'In contribue également à un travail de sensibilisation au recyclage permettant de redynamiser des quartiers vulnérables.
A l'avenir, l'entreprise souhaiterait s'approvisionner en matériaux directement auprès des chiffonniers par le biais d'eco-kiosques, des bornes de tri disséminées à différents endroits d'un quartier de Casablanca, dont l'avantage serait triple :
faciliter l'approvisionnement en matériaux;
sensibiliser les riverains au tri sélectif;
améliorer les conditions de travail des chiffonniers participant au projet, de part un gain en visibilité de leur travail et un contact différent qu'ils entretiendraient avec les riverains. Aussi, cela réduirait la pénibilité de leur travail et leur permettrait d'obtenir des revenus plus réguliers. Ressourc'In accompagnerait les chiffonniers à acquérir un statut d’auto-entrepreneur dans une logique de formalisation de leur activité.
Reda, profession chineur-vendeur ou le syndrome d'une jeunesse qui "se débrouille"
Au Maroc, le chômage touchant plus de quatre jeunes urbains sur dix, pour beaucoup de jeunes comme Reda Salaheddine un ami habitant Rabat, le quotidien est fait de débrouille. A quelques minutes à pied de chez lui, on trouve un marché de la Joutia (nom donné aux marchés aux puces au Maroc, souvent informels).
Reda y tient un stand depuis qu'il a 15 ans et est devenu un expert chineur. Trouver la meilleure marchandise demande un regard aiguisé et une forte expérience, mais aussi de se lever tôt pour être dans les premiers à se rendre aux stands des mikhalis (autre nom donné aux chiffonniers) qui ont sauvés de nombreux objets des poubelles. Ces objets pourraient ensuite être revendus par d'autres vendeurs, comme Reda, sur place ou dans d'autres Joutia.
Inspiré de ce qu'il observe au quotidien, Reda, aka Gmix a composé de façon complètement improvisée "Le petit bout de pain", un rap sur les mikhalis :
Traduction des paroles :
Chaque matin, la plupart des marocains se réveillent tôt pour courir derrière une petit bout de pain
Ici le cerveau est devenu vieux
Plusieurs personnes mettent leur tête dans la poubelle
Personne ne s'occupent d'eux
Jusqu'au jour de leur mort